Peut-on parler de crise de l'éducation au Cameroun?

Publié le par mbida

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L’éducation est un pilier du progrès et du développement de la société humaine. Elle pourvoit l’homme du savoir, du savoir-faire et du savoir être nécessaires à son inscription heureuse dans une existence sociale. La crise de l’éducation que nous vivons aujourd’hui au Cameroun est un véritable drame pour le présent et une vive inquiétude pour l’avenir. Car parmi les griefs maintes fois formulés à l’endroit du système éducatif camerounais figure en bonne place le fait que l’école camerounaise produit des diplômés, très peu inventifs, très peu créatifs et donc incapables de contribuer à sortir le pays de ses autres crises. Une large opinion va jusqu’à attribuer la dérive générale du pays à son élite intellectuelle. Il ne se passe d’ailleurs pas une rencontre sur le système éducatif sans qu’on décrie le caractère non adapté de nos programmes par rapport aux besoins de la communauté nationale et par rapport aux nouveaux défis du monde.

Les plans d’action découlant de la Table Ronde Nationale sur l’Education pour tous (EPT) organisée en janvier 1991 et les recommandations des Etats Généraux de l’Education qui se sont tenus en mai 1995 ont tous indiqué de former les enfants de manière à leur permettre de devenir, à terme, capables de créativité, d’auto-emploi, et à même de s’adapter à tout moment à l’évolution de la science, de la technologie et de la technique.

Des recommandations de ces deux importantes assises du système éducatif camerounais découlent du diagnostic selon lequel ce système, à tous les niveaux, fournit des diplômés souvent incapables de résoudre par eux-mêmes des problèmes ou des situations difficiles, de raisonner autrement devant des situations nouvelles, d’innover et d’apporter des changements positifs dans un pays constamment en crise. A la question pourquoi, alors que la société attend justement des changements positifs dont les intellectuels seraient acteurs, ces derniers ne brillent que par leur incapacité à apporter les innovations attendues, nous répondons : ce serait parce que ces cadres sont passés par l’école du mimétisme. Il ya donc crise pédagogique.

Pour notre réflexion, après avoir défini la nature (manifestations) de la crise éducative au Cameroun, nous en découvrirons les causes explicatives et nous essaierons d’évoquer les leçons ou les solutions possibles à cette crise.

 

I.                   NATURE DE LA CRISE : ses manifestations

 

Le diplôme obtenu à l’école est pour beaucoup de camerounais le symbole d’une réussite sociale. On obtient le diplôme pour devenir " quelqu’un". Derrière cela se cache une réussite sociale qui laisse sous-entendre, un bon salaire, une belle voiture, une belle maison. La bonne école est donc celle qui conduit à la réussite sociale, parce que débouchant sur l’emploi. En effet, devant la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, le moindre petit diplôme après les indépendances, vous apportait la qualité requise pour trouver un emploi rémunéré. (Réseau Ecole et Développement 2003 :136).

Lorsque surgit la crise des années 80, précédée elle-même à la fois du choc pétrolier de 1973, et de la chute des matières premières avec la conséquence directe de la fin de la "pompe aspirante" et donc, du chômage des diplômés, l’école devient alors vite le lieu de polarisation de cette crise qui est à la fois une crise des contenus et surtout une crise des finalités mêmes de l’école (A. Mvesso 2005 :48).

Ainsi, tous les élèves n’ayant pas obtenu de diplômes sont écartés du système scolaire et jugés inaptes et incapables. Ce système très " sélectif" ne se préoccupe pas des nombreuses " déperditions" qu’il produit. C’est un système qui développe et soutient le culte du diplôme. Les parents aident les enfants à franchir les différents niveaux d’études, notamment les classes d’examens, et rien d’étonnant que l’autonomie de l’enfant se fasse d’abord par son goût pour la facilité et la tricherie. C’est ce qui explique en partie que de nombreux diplômés sortis de cette école n’ont pas les aptitudes qu’il faut (Réseau Ecole et Développement 2003 :137).

En dehors du cadre scolaire, dans un contexte social de crise des emplois, produire des individus créatifs est un pari important. Les diplômés doivent toujours attendre de trouver un emploi hypothétique ; des diplômés sans qualification et sans esprit créatif ne sont pas aptes à créer des emplois pour eux-mêmes et pour les autres alors ils sont obligés d’aller faire la file devant des établissements qui leur offrent des petits emplois aux conditions souvent humiliantes. C’est aussi pour les mêmes raisons que l’on voit les mêmes files lorsqu’il ya des recrutements à la police ou dans l’armée.

On assiste par ailleurs et de plus en plus, à la situation des diplômés chômeurs où, les rares entreprises encore capables de fournir quelques emplois redoutent la concurrence, recherchent des personnes possédant des aptitudes telles que : la flexibilité, l’esprit d’innovation et de créativité, la compétitivité. En somme, le système éducatif camerounais et le monde du travail sont deux convergences parallèles.

 

II.                FACTEURS DE LA CRISE : la question  de la pédagogie

 

Les mécanismes d’éducation et de formation en tant que modes de reproduction culturelle et sociale sont similaires à ceux de la reproduction biologique. Emile Planchard fait remarquer d’ailleurs avec pertinence que le terme latin educatio désigne, au départ, la culture des plantes aussi bien que l’élevage des animaux. Ainsi, en tant qu’agent du processus de la reproduction par l’éducation et par la formation, l’enseignant se « reproduit » à travers l’élève (1966 : 12).

Mais « c’est surtout au niveau des méthodes d’enseignement et d’évaluation des acquisitions des élèves que l’institution scolaire fait découvrir sa véritable face à "l’école de la  copie" ou de l’imitation » (R. Ngub’Usim 2006 : 487).

En privilégiant dans la didactique l’interaction dyadique « enseignant-enseigné », dans une relation de dominant-dominé, donneur-receveur, tout le système scolaire repose en réalité sur le postulat d’une formation à l’image et à la volonté de l’enseignant. C’est donc à travers un paradigme d’autoritarisme, de conformisme qu’on façonne l’élève. Par ailleurs, au-delà d’une didactique ainsi faite de préjugés et de stéréotypes plus ou moins négatifs vis-à-vis de l’apprenant, les systèmes d’évaluation favorisent et recherchent l’acquisition des aptitudes relevant de la copie telles que : la mémoire, la reproduction fidèle et le jugement convergent. Ainsi, si à l’enseignant il est reconnu le rôle de parler, démontrer, expérimenter et peut-être faire expérimenter, questionner, à l’élève il est reconnu le rôle d’écouter, de suivre, d’imiter, de mémoriser, de reproduire et de répondre. Répondre signifie restituer la pensée de l’enseignant, ce qu’il a dit ou ce qu’il veut que l’élève dise. « Plus fidèlement, l’élève reproduira la pensée de l’enseignant ou ce que l’enseignant attend, mieux l’élève sera apprécié. Le contraire est synonyme d’erreur. L’axiome didactique est : enseignant = vérité » (R. Ngub’Usim 2006 : 489).

L’école du mimétisme ou de la répétition accorde une importance fondamentale au diplôme, à la réussite, aux évaluations (examens, interrogations, devoirs, etc.), comme indicateurs de l’acquisition et comme condition pour la promotion scolaire. Elle impose par conséquent à l’élève des comportements conformes à la répétition. La plupart des élèves sont plus aptes à écouter et à répondre aux questions qu’à se poser des questions ou à poser des questions aux autres et à l’enseignant.

La hantise à reproduire fidèlement la pensée et les idées de l’enseignant pousse plusieurs élèves " faibles"  ou " hésitants ", à recourir à leurs notes même pendant les évaluations. C’est le constat de la tricherie souvent fait par les surveillants même à l’université et dans les grandes écoles de formation (R. Ngub’Usim 1999 : 12). La peur de se tromper est extrêmement intense dans ce modèle, surtout lorsque l’élève se retrouve en groupe de discussion ou d’échange, car croit-il, il sera ridicule, ou il deviendra la risée des autres. C’est ce qui explique que plusieurs  élèves préfèrent rester taciturnes lors des cours, n’osant pas prendre la parole, non pas parce qu’ils n’ont rien à dire ou à savoir mais parce qu’ils craignent de se tromper, de provoquer le rire de la part de leurs camarades.

Un des reproches que l’on peut adresser à l’école traditionnelle a été (et est toujours), qu’elle met surtout l’accent sur la savoir livresque si bien que l’on se trouve dans un cercle vicieux : l’enseignant écrit un texte au tableau, les élèves doivent le recopier et l’apprendre par cœur. « La valeur éducative de cette méthode est extrêmement faible car les enfants apprennent au plus à recopier. Cela ne peut plus suffire aujourd’hui pour justifier la fréquentation de l’école » (Réseau Ecole et Développement 2003 :188).

 

 

III.             LES LEÇONS DE LA CRISE : pour une pédagogie de la créativité

 

« Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette crise quant à l’essence de l’éducation, non pas au sens où l’on peut toujours tirer une leçon des erreurs qui n’auraient pas dues être commises, mais plutôt en réfléchissant au rôle que l’éducation joue dans toute civilisation, c’est-à-dire à l’obligation que l’existence des enfants entraîne pour toute la société humaine » (H. Arendt 1972 : 237).

Comment faire pour aider à réduire la tendance à la répétition à l’école dans l’enseignement secondaire et universitaire afin de cheminer vers un nouveau système plus participatif et plus créatif ?

Tout devrait commencer d’abord par la conversion des mentalités pédagogiques des enseignants avant de chercher à concevoir de nouveaux et hypothétiques programmes scolaires, lesquels seraient d’ailleurs difficiles à appliquer directement ou à généraliser.

Tout part du cher principe général que la créativité peut être stimulée et s’acquérir. De  ce fait, il est indispensable que les responsables d’enseignement soient sensibles à cette culture de l’imagination et que par les instructions aux écoles, en application des programmes, qu’un accent soit mis sur l’entraînement des enseignants à la culture de la créativité et de l’imagination.

Les enseignants entraînés aux exercices de créativité acquièrent par le fait même des manières plus libérales et plus personnalisées d’enseigner, de conduire les exercices en classe, de corriger les copies des élèves et d’apprécier finalement l’esprit d’autonomie des élèves.

Des recherches-actions visant l’acquisition par les enseignants des nouvelles méthodes d’enseignement axées sur la créativité et l’innovation, peuvent être envisagées, lors des séminaires de recyclage et de reforme d’enseignement. Il convient d’amener les enseignants à comprendre que la formation tout comme la socialisation des élèves, buts ultimes de l’action éducative, ne sont pas antagonistes à l’esprit d’autonomie, de créativité et d’innovation. Bien au contraire, l’autonomie augmente chez l’élève le sens de responsabilité et de l’auto-prise en charge, forts utiles dans la vie présente et future d’adulte.

Parmi les méthodes pédagogiques mobilisables pour cet enseignement, l’enseignant donnera le plus souvent du travail aux élèves en demandant expressément de jouer avec leur imagination sans menace de notes, sans jugement de valeur, sans jugement critique a priori, sans trop se préoccuper du temps "gaspillé". Il y a aussi lieu de privilégier l'organisation de débats argumentés. Ils contribuent à créer un espace de discussion, l’école permettant à l'élève d'exercer sa liberté d'expression et de se situer dans les grands débats d'idées de nos sociétés contemporaines. Un débat argumenté, s'il veut faire émerger la confrontation raisonnée des points de vue, est un débat préparé. Il exige le recours à des sources documentaires variées (politiques, historiques, juridiques, sociologiques...), empruntées à des supports et des canaux d'information diversifiés (monographies, périodiques, CD Rom, sites Internet, traitements d'enquêtes...),  fournis ou indiqués par le professeur. L'organisation du travail préparatoire au débat peut mobiliser des techniques diverses selon le sujet abordé: ouvrages, dossiers de presse, recherche de documents, enquêtes, etc. Dans tous les cas, il s'agit de former l'esprit critique des élèves et de conduire à l'élaboration d'argumentaires construits et pertinents favorisant la confrontation des points de vue singuliers. La compétition au niveau des idées nouvelles, de la production de quelque chose de personnel fait monter le niveau d’aspiration des élèves ainsi que leur degré d’imagination. Il est bon d’organiser périodiquement une foire des idées dans la classe sur un thème ; les meilleures idées pouvant être primées.

L’utilité immédiate de l’esprit créatif peut déjà s’apprécier à l’école même, à travers les innovations dans le milieu de l’enseignement, l’autoproduction des matériels didactiques, l’innovation dans les évaluations des acquisitions des élèves et des étudiants ainsi que l’instauration d’un réel climat de responsabilisation des apprenants. 

 

CONCLUSION

 

La crise de l’éducation au Cameroun peut être diagnostiquée sous plusieurs angles. Nous l’avons vu sous l’angle pédagogique, une crise des finalités mêmes du système d’enseignement en conséquence.

Du point de vue didactique, « l’apprentissage académique poursuit essentiellement deux objectifs fondamentaux. Le premier objectif consiste à acquérir des connaissances scientifiques dans un ou plusieurs domaines du savoir humain. Le deuxième objectif est l’utilisation pratique de ces connaissances apprises » (S. Belinga Bessala 2005 : 126). Par conséquent, face au problème récurrent du chômage des diplômés de nos écoles et même de ceux qui sont sortis prématurément du système sans diplôme, la suggestion de l’école créative comme alternative à l’école du mimétisme, fait penser au « type d’école qui permet d’assurer une formation ou une éducation intégrale, c’est-à-dire la formation qui arme l’élève, puis l’étudiant, des outils de résolution des problèmes socioéconomiques et professionnels les plus divers »(R. Ngub’Usim 2006 : 501). Il s’agit ici de changer de mentalité pédagogique pour sortir de cette crise. Ce changement devrait faire passer de la conception traditionnelle de l’éducation ou de la formation de la copie, à celle d’une pédagogie de l’innovation ; du modèle conformiste vers le modèle d’autonomie de la pensée ; du modèle qui produit des diplômés sans qualification particulière au modèle qui forme des élèves capables de produire de nouvelles idées et des idées originales dans la résolutions des problèmes. Comme on le sait, le danger de tout mimétisme c’est de ne pas savoir intégrer les faits acquis de l’imitation dans le propre bagage socioculturel des communautés.

 Si la responsabilité des enseignants est grande devant l’échec de l’école à former des sujets aptes à l’innovation et à la créativité, en raison de l’école du mimétisme, celle des responsables du système scolaire est davantage plus grande.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

ARENDT (H.)

1972     La crise de la culture, trad. Patrick Lévy, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 508 p.

 

BELINGA BESSALA (S.)

2005     Didactique et professionnalisation des enseignants, Yaoundé, Clé, 163 p.

 

MVESSO (A.)

2005     Pour une nouvelle éducation au Cameroun. Les fondements d’une école citoyenne et   

            de développement, Yaoundé, Presses Universitaires de Yaoundé, 139 p.

 

NGUB’USIM (R.)

1999     « Pourquoi sont-ils tentés de tricher lors des évaluations de connaissances ? », in

             Revue de Psychologie et des sciences de l’Education, N°1-2, p. 12-32.

 

2006     « Pour que l’école de la copie cède le pas à l’école incitatrice à la créativité des

             élèves : Fondements et pistes » in Congo-Afrique, N° 410, pp. 486-502.

 

PLANCHARD (E.) 

1966     Introduction à la pédagogie, Louvain, Nauwelaerts, 218 p.

 

RESEAU ECOLE ET DEVELOPPEMENT

2003     Correspondances, vers une pédagogie de libération, Yaoundé, Clé, 273 p.

 

 

 

 

 

 AUTRE TRAVAIL SUR LE SUJET

 

INTRODUCTION

 

L’éducation est un pilier du progrès et du développement de la société humaine. Elle pourvoit l’homme du savoir, du savoir-faire et du savoir être nécessaires à son inscription heureuse dans une existence sociale. Le sentiment de crise de l’éducation dans lequel nous sommes plongés aujourd’hui au Cameroun est une véritable préoccupation pour le présent et une vive inquiétude pour l’avenir. Car parmi les griefs maintes fois formulés à l’endroit du système éducatif camerounais figure en bonne place la crise des valeurs. C’est pourquoi l’école est incapable de contribuer à sortir le pays de ses autres crises. Il faut parler comme Dubet de "sentiment endémique de crise" plutôt que de parler de crise de l’éducation car un sentiment est toujours à analyser et laisse une place directe à cette analyse.

 La crise de l’enseignement n’est pas une crise de l’enseignement ; il n’y a pas de crise de

l’enseignement ; (…) quand une société ne peut pas enseigner, c’est qu’elle ne peut pas

s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-même ; pour toute

humanité, enseigner, au fond, c’est s’enseigner ; une société qui n’enseigne pas est une société qui ne s’aime pas, qui ne s’estime pas » écrivait en 1904 Charles Péguy, faisant ainsi peu de crédit à une quelconque autonomie de l’école vis-à-vis de la société (C. Péguy, 1904 : 44).

De nos jours, la tendance est plutôt à opposer les valeurs de la société à celles de l’école pour expliquer les difficultés des enseignants. Mais qu'est-ce qu'une valeur ? On voit dans le sentiment de la crise avérée de l'école et de l'éducation une crise des valeurs. A la lumière de ce qui précède et en ce point de la réflexion, que faut-il en penser ? Le sentiment de la crise de l'éducation est-elle une crise des valeurs ? Et que faut-il entendre par là ?

Pour notre réflexion, après avoir considéré les différentes acceptions du concept "valeur" et soulevé les problématiques du sentiment de  la crise éducative au Cameroun, nous essaierons d’évoquer les leçons ou les solutions possibles à cette crise.

 

Dès son origine, le mot valeur prend la double signification d'intérêt d'un objet et de qualité d'une personne. C'est Taine semble-t-il, au milieu du 19ème siècle, qui l'utilise le premier dans son sens contemporain, plus abstrait, de référence morale ou esthétique. Aujourd'hui, le mot renvoie à une sémantique large et assez ambivalente, qui va de la valeur boursière à la valeur morale, en passant par la  "valeur ajoutée" des économistes ou la "valeur numérique" des mathématiciens. On se cantonnera ici au domaine social, dans lequel la valeur désigne un principe permettant à un groupe de se mobiliser ou de justifier son action. Dans ce sens sociologique, tout principe d'action partagée, toute référence commune, peut constituer une valeur. Les sociologues s'interdisent par principe toute réflexion sur la "valeur des valeurs", question qui intéresse en revanche les moralistes. Olivier Reboul par exemple propose un critère pratique de reconnaissance de la "vraie"  valeur, politique ou morale : elle nécessite toujours un sacrifice, estime-t-il, et se distingue par là de la recherche du plaisir ou de l'intérêt immédiat il dit d’ailleurs : «  Il n’y a pas d’éducation sans valeur. Même si l’on réduit à l'enseignement scolaire, on apprend à l’école. Or, qu’est-ce qu’apprendre, sinon passer d’un état à un autre, plus souhaitable ? Apprendre, c’est se délivrer d’une ignorance, d’une incertitude, d’une maladresse, d’une incompétence, d’un aveuglement : c’est parvenir à mieux faire, à mieux comprendre, à mieux être. Or, qui dit " mieux " dit valeur » (O. Reboul, 1992 :1).

 Le concept abstrait qui émerge donc au 19ème siècle s'épanouit au 20ème sous l'effet des évolutions socioculturelles : la sécularisation et l'individualisation de la société ont en effet pour conséquences l'affaiblissement des systèmes de normes collectives et la crise générale des sources morales et politiques de l'autorité. Pour exercer cette liberté nouvellement conquise il est alors besoin, selon Hannah Arendt, d'opérer une nette distinction entre le but, la finalité d'une action, son utilité, et son sens, sa signification ultime, sa valeur : « Comme si le menuisier, écrit-elle, oubliait que seuls ses actes particuliers lors de la fabrication d'une table sont accomplis dans le mode du "afin que", mais que toute sa vie de menuisier est régie par quelque chose de très différent, à savoir une idée plus vaste, "pour" laquelle, principalement, il est devenu menuisier. » (H. Arendt, 1972 : 106). Les valeurs, dans ces conditions, constituent pour nous un triple système de référence. Certaines représentent des idéaux, des horizons d'action, mobilisateurs bien qu'inaccessibles dans la réalité : l'égalité par exemple. D'autres sont des principes d’action plus concrets pour mener sa vie : ainsi l'honnêteté, la tolérance ou la loyauté sont loin d’être des idéaux hors d'atteinte. Enfin d'autres, ou les mêmes,  constituent des critères pratiques de jugement d'une action, d'une innovation, d'une réforme : l'utilité  et l'efficacité sont évidemment, de nos jours, de celles-là. Les valeurs sont donc au cœur de notre vie personnelle, sociale, éducative, professionnelle ou politique ; ce sont les points d'appui permanents de nos jugements éthiques, de nos décisions d'action, les justifications de nos comportements individuels et collectifs, les fondements ultimes de l'exercice de notre liberté.

 

L'école au Cameroun de nos jours, comme les autres institutions, ne peut plus fonctionner sur le mode ancien de l'autorité  "naturelle"  de ses normes ; elle doit justifier sans relâche ses finalités et ses missions, prouver sans cesse la légitimité de ses méthodes et de ses décisions. Elle est souvent sommée de clarifier sa relation aux valeurs, et ceci au moins de trois façons différentes, ou si l'on veut à travers trois problématiques complémentaires. La première est celle des fondements axiologiques de l'école  d’aujourd'hui : quelles sont les valeurs qui peuvent justifier et légitimer, de nos jours, les choix, les modes d'action et les réformes de l'école ? Ces références proviennent sans doute en partie de son histoire, mais peut-être également des pressions de la société qui l’environne. L'école peut-elle d'ailleurs encore prétendre à une quelconque autonomie par rapport à la société?  La seconde problématique découle de la première : en admettant qu’elle soit fondée sur un système de valeurs, l'école peut-elle encore transmettre ces valeurs ? Ne s'oppose-t-elle pas alors à la liberté des familles et des individus ? Au Cameroun, l'enseignement public a pris la forme historique d'une « éducation nationale » contrôlée par le pouvoir politique et non par des communautés de parents, c'est alors le rôle du politique qu'il convient d'interroger : y a-t-il encore la possibilité d'un accord politique sur des valeurs communes à transmettre, près d'un siècle après que Max Weber a proclamé le  "polythéisme des valeurs" ? En d'autres termes, l'éducation, et notamment l'éducation morale n'est-elle pas devenue de nos jours une affaire privée, dans laquelle s'imposerait le retrait, la neutralité de l'école publique ? D’autant plus que la société diffuse ses propres valeurs et que la culture de masse a une réelle efficacité dans leur promotion. L’école est-elle vraiment en mesure de leur faire de l’ombre ? D'où une troisième problématique. Comment se transmettent les valeurs, et plus précisément comment l'école peut-elle s'y prendre pour transmettre les siennes aujourd'hui ? La puissance du discours, la vertu de l'exemple sont souvent citées, mais sont-elles encore efficaces ? Ne néglige-t-on pas l'impact de l'organisation scolaire, du fonctionnement même de notre institution dans la construction des références politiques et morales des élèves ? Ces trois questions, ces trois problématiques méritent d’être examinées. On peut donc admettre que l'école doit et peut encore participer à la transmission des valeurs nécessaires à la vie d'une société moderne. Se pose alors la question du « Comment faire ? »

 

 « Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette crise quant à l’essence de l’éducation, non pas au sens où l’on peut toujours tirer une leçon des erreurs qui n’auraient pas dues être commises, mais plutôt en réfléchissant au rôle que l’éducation joue dans toute civilisation, c’est-à-dire à l’obligation que l’existence des enfants entraîne pour toute la société humaine » (H. Arendt 1972 : 237).

 Deux voies s'ouvrent traditionnellement aux éducateurs, parents et enseignants, soucieux de transmettre un système de valeurs : le geste et la parole, c’est-à-dire l'exemplarité et le discours.

Commençons par ce dernier. Il ne fait guère de doute que les contenus disciplinaires définis par les programmes scolaires sont porteurs de valeurs. Mais que vaut le cours le plus brillant s'il est infirmé par les actes du professeur ? C'est pourquoi on prétend souvent que l'éducateur, le maître ou plus généralement l'adulte, transmet d'abord des valeurs à travers ses attitudes et ses comportements. L'égalité est-elle une valeur ? Il n'est pas inutile de faire sur cette question un cours d'éducation civique ou de philosophie ; mais surtout, si l’on veut que l'égalité soit effectivement une valeur pour les jeunes, on ne tolère aucune manifestation d'exclusion, de xénophobie, d'ostracisme quelconque sur les bancs de la classe, ou dans la cour de l'école. C’est dans ce sens que Gianna Pallante écrit :

L’éducation doit être conforme à la société actuelle(…) Aujourd’hui, contrairement à la société traditionnelle qui séparait l’éducation des filles de celle des garçons, la société moderne rassemble les filles et les garçons dans les mêmes salles et pendant de longues heures pour recevoir la même éducation. Et si les éducateurs ne veulent pas demeurer de simples nostalgiques du passé, ils doivent élaborer de nouveaux modèles de comportement et inventer une initiation nouvelle pour les garçons et les filles d’aujourd’hui  (G. Pallante, 2005 : 65).

La solidarité est-elle une valeur ? Alors on organise concrètement des occasions d'exprimer une solidarité active avec ceux qui en ont le plus besoin, dans l'école, dans la cité, ou à l'autre bout de l'humanité. Le respect de la personne, la dignité humaine sont-elles des valeurs ? « Les parents pourraient contribuer à faire acquérir à leurs enfants, à travers les conduites dont ils leur fourniraient ainsi le modèle, un sens aiguisé qu’il existe des figures plus chaleureuses du lien social que celles qui consistent dans la reconnaissance réciproque des sphères de liberté (A. Renaut, 2002 :382). Alors on condamne sans appel et l’on interdit en pratique toute manifestation de la violence, et l’on punit ceux qui s'y adonnent. On pourrait multiplier les exemples : la transmission des valeurs s'effectue principalement par imprégnation culturelle, notamment à travers les relations que les adultes nouent avec les enfants et les jeunes, et dans l'école, les professeurs avec leurs élèves. La culture est une réalisation, le moyen de l'adaptation de l'homme au monde. L'éducation s'inscrit dans cette dimension pragmatique de réalisation, celle d'une nécessaire vision collective comme lieu d'ancrage et processus d'acculturation. La culture offre une origine, une "personnalité de base", un principe identificateur, qui rend le procès éducatif signifiant pour ses acteurs. L'homme est un être à penser : c'est pour cela même qu'il est être de pensée, cette capacité étant inscrite dans son éducabilité (F. Morandi, 2000 :15). André Mvesso dira en substance que l’école est le lieu de valorisation du patrimoine culturel national et d’intériorisation des valeurs de l’Afrique (A. Mvesso, 2005 :89).

La langue comme valeur de l’enseignement contribue un moyen d’imprégnation :

La langue est liée à une culture. On sait qu’apprendre une langue c’est également apprendre une culture. Or l’apprentissage et la valorisation des langues nationales camerounaises ne semblent pas être une priorité. Tous les moyens sont plutôt mis au service du déploiement du français et de l’anglais. Si l’on considère que, pour être bénéfique, l’éducation doit correspondre aux aspirations socioculturelles de la société dans laquelle elle se développe, on peut reconnaître que la scolarisation en langue étrangère ne permet pas justement cette ouverture de l’école à la société.  (P. T. Elobo, 2005 : 161)

         Mais ce n'est pas tout : reprenons l'exemple de l'honnêteté, valeur à la fois privée et publique, morale et politique, dont l'importance saute aux yeux dans la période actuelle, et si mal transmise. Y aurait-il des discours officiels complaisants pour la malhonnêteté ? Les professeurs eux-mêmes donneraient-ils le mauvais exemple ? Les chefs d'établissement seraient-ils corrompus ? Evidemment pas le moins du monde ! Il est probable, y découvre-t-on, qu'au lycée une majorité de justificatifs d'absence sont des faux (motifs, signatures, certificats...) Les parents, les professeurs, les surveillants le savent et les lycéens savent qu'ils le savent ! Alors pourquoi ce système malhonnête perdure-t-il ? Sans doute parce qu'il est à la fois utile et efficace. Efficace, car la pression matérielle et morale qu'exerce l'institution pour que les élèves justifient leurs absences par un document écrit, permet de contenir l'absentéisme dans des limites compatibles avec l'organisation scolaire. Utile car l'analyse des causes des absences (sauf pour l'absentéisme chronique qui révèle souvent une pathologie scolaire ou autre) montre que c'est le plus souvent  "pour la bonne cause", c'est-à-dire dans une stratégie de réussite, qu'on s'absente : révision,  "impasse", préservation d’une note, etc. Les valeurs se transmettent donc aussi par le fonctionnement et l'organisation des institutions scolaires. Professeurs et responsables de ces institutions sont donc placés devant une nouvelle difficulté : transmettre des valeurs fait partie de leur mission, mais ils ne peuvent le faire efficacement que si l'institution qu'ils servent les adopte elle-même dans son fonctionnement interne, fonctionnement sur lequel ils n'ont qu'un pouvoir relatif.

 

C’est sans doute parce qu’elle est elle-même transition entre deux âges, entre deux mondes, que l’adolescence est aujourd’hui particulièrement fragilisée par une société qui hésite à assurer la transmission des valeurs éducatives et morales. C'est pourquoi l'école devrait non seulement se consacrer à la transmission de connaissances et à la formation du jugement de connaissance, autrement dit l’esprit critique, ce qu’elle fait somme toute fort bien, mais aussi s’occuper sérieusement de la transmission de valeurs et de la formation du jugement de valeur, autrement dit de la préparation à la pluralité des choix éthiques. L’éducation doit retrouver ses lettres de noblesse que sont : l'amour de la raison, le respect de la culture, l'exigence de liberté. Elle doit susciter le goût du travail bien fait et le sens de l'effort. Elle doit reprendre les valeurs d'égalité et de fraternité, le sens du service public et de l'intérêt général. Elle instaurera aussi la tolérance et le respect de la dignité humaine, l'exigence de justice sociale. En tant qu'institution éducative elle aura aussi à développer l'autorité comme sens de la responsabilité vis-à-vis des enfants et des jeunes, la liberté individuelle, l'égalité des droits, l'égale dignité des êtres humains, la solidarité envers les plus démunis, et, en même temps toujours plus de sécurité, de règles, d'autorité, d'apprentissage du civisme et de la vie sociale, voire une éducation morale face à laquelle l’école est souvent désemparée.

 

ARENDT (H.)

1972     La crise de la culture, trad. Patrick Lévy, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 508 p.

 

ELOBO (P. T.)

2005 "Introduction des langues nationales dans le système éducatif camerounais : nécessité ou utopie ?" in Ecole et mondialisation en Afrique, Yaoundé, Presse de l’UCAC, pp. 147-163.

 

MVESSO (A.)

2005     Pour une nouvelle éducation au Cameroun. Les fondements d’une école citoyenne et  

            de développement, Yaoundé, Presses Universitaires de Yaoundé, 139 p.

 

MORANDI (F.)

2000     Philosophie de l'éducation, Paris, Nathan, pp. 15-17.

 

PALLANTE (G.)

 2005    " L’école et la jeune fille au Cameroun ", in Ecole et mondialisation en Afrique, Yaoundé, Presse de l’UCAC, pp. 51-69.

 

PEGUY (C.)

1904     Pour la rentrée, Paris, Gallimard, 106 p.

 

REBOUL (O.)

1992     Les valeurs de l'éducation, Paris, PUF, 120 p.

 

RENAUT (A.)

2002     La libération des enfants. Contribution philosophique à une histoire de l’enfance, Paris, Bayard,  

             396 p.

 

 

 

L'ECOLE ET LA JEUNE FILLE AU CAMEROUN

 

 

Introduction

Dans nombreuses régions du monde les préjugés à l'égard des filles ont été fortement établis. Leurs droits fondamentaux à l'éducation, à l'égalité et parfois même à la survie sont sans cesse bafoués.

Et pourtant, si l'Afrique est aujourd'hui vivante dans l’histoire c'est grâce à la femme gardienne fidèle de toutes les valeurs qu'elle a la charge de communiquer, de transmettre à ses enfants.

Au Cameroun particulièrement l'impact des pratiques culturelles et traditionnelles sur les filles est très fort. Ce phénomène résulte dans certains cas de la résistance de la société aux

changements acquis par la société d’une part, et par la fille elle-même d’autre part.

Dans nos sociétés, l’un des droits fondamentaux de la petite fille, celui d’aller à l’école, a longtemps été foulé au pied par des parents. Le plus souvent soit on ne permettait pas à la jeune fille d’aller à l’école comme le garçon, soit elle était précocement retirée pour la donner en mariage. En réalité nombre de parents pensent que sa scolarisation n’a pas assez d’importance. Mais Toutefois, une évolution positive est notée. La femme participe au progrès de la société.

Pourquoi la société camerounaise, bien qu'elle souhaite voir ces filles instruites et productives ne lève-t-elle pas les obstacles qui inhibent la scolarisation, l'épanouissement, la promotion de la fille ?

Notre intention est de comprendre l’analyse de l’auteur. La pertinence du thème ne fait aucun doute. Fidèle à la démarche de l’auteur, nous nous arrêterons d’abord sur l’image de la femme africaine, ensuite sur le problème de la scolarisation de la jeune fille au Cameroun et enfin sur les enjeux de cette scolarisation.

 

1.                  Image de la femme africaine

Notre auteur  met en exergue l’image de la femme qui est habituellement présentée : la femme inférieure, opprimée, sans liberté d'action, sans créativité ou esprit d'entreprise. On la retrouve dans le petit commerce, l'artisanat, l'agriculture et la petite industrie alimentaire, mais plusieurs obstacles se dressent encore à elle dans le domaine économique, lesquels ne lui permettent pas d'offrir des produits de qualité sur le marché ni d'opérer dans la structure formelle (C. Honeto 1978 : 53).

Les auteurs Winfried Schneider et Regina Maria corroborent cela en disant que : « même, si l'idéal social attribue à la femme le rôle de l'épouse et de la mère au foyer, il n'y a que très peu de familles qui se confrontent à cette réalité vu que ce sont les femmes qui contribuent pour le maintien de leur foyer. C'est ainsi que les familles pauvres ne peuvent pas se permettre de renoncer à la contribution des femmes aux revenus familiaux » (W. Schneider et M. Regina 1996 : 87). Cette situation a été constatée aussi dans la société qui fait l'objet de notre étude.

En effet, il se dégage de ces analyses que la société camerounaise a connu des écueils vis-à-vis de 1a promotion de la fille : la méconnaissance des droits de la fille, la pauvreté des parents. A cela s’ajoutent les facteurs traditionnels les plus divers qui démontrent qu’il faut donner une éducation et une instruction aux garçons car ils auront à gagner le pain pour leur famille et à soutenir leurs vieux parents. Cela s'apparente à la crainte émise par les sociétés traditionnelles africaines et si bien traduite par René Dumont qui dit: «  Si ta sœur va à l'école, tu mangeras la plume. »

Ces considérations se vérifient chez les Bëti où la naissance d'une fille passe inaperçue, voire méprisée pendant que celle d'un garçon est un motif de joie, de fête.

Dans cette même orientation, on observe, que la femme n'est pas égale à l'homme, de ce fait, jadis elle ne pouvait consommer certains mets, tels que la poule, les œufs… Bien plus, l'épouse n'a pas le droit de prendre son repas en compagnie de son mari. Parfois, elle ne se contente que des restes laissés par ce dernier. En outre, lorsqu'on considère l'aide que peut apporter une fille dans un foyer, par exemple la collecte d'eau et de bois, les soins aux jeunes enfants et aussi partant de la conception qu'on se fait de la femme, l'idée a toujours été de la préparer à sa vie future d'épouse et de mère. « En Afrique la femme a toujours été considérée comme une richesse. Elle était une machine à produire et à reproduire : productrice de biens, avec son travail comme bête de somme et reproductrice d’enfants qui étaient non seulement le lien mystique pour la continuation du lignage, mais aussi potentielle main d’œuvre » (G. Pallante : 54).   Ainsi soustraites aux seuls travaux ménagers, les filles se trouvent condamnées à vivre dans une ignorance généralisée, dans un état de santé médiocre, avec des attentes réduites et les capacités diminuées. Le comble est qu'une fois devenue mères, elles transmettent les mêmes attitudes et handicaps à leurs enfants.

 

2.                  Le problème de la scolarisation de la jeune fille au Cameroun

L’on a réussi à multiplier les écoles, les collèges et les lycées, à augmenter l’effectif des élèves aussi bien des filles que des garçons, et à mettre en place de nouveaux programmes d’enseignement scolaire, cependant, elle a été loin de réaliser les objectifs visés, donc elle n'a pu enrayer les inégalités liées au genre, ni à maintenir le plus longtemps possible les filles dans le cursus scolaire, ni à faire disparaître les inégalités d'ordre quantitatif et qualitatif.

 

2.1.             Les filles dans le système scolaire au Cameroun

L'analyse de la scolarisation des filles révèle qu'au Cameroun, elles sont confrontées à un

certain nombre de problèmes dont :

- problème d'accès qui se traduit par des disparités entre les taux d'admission et de scolarisation des deux sexes qui s'accentuent au fur et à mesure qu'on va loin dans les niveaux ou qu'on soit dans les filières techniques selon certaines statistiques. Malgré le fait que les femmes soient plus nombreuses que les hommes, le nombre d’enfants mâles dépasse celui de leurs homologues femmes dans les secteurs de l’éducation formelle et supérieure ;

- problème de maintien dans le système (le taux d'abandon est plus élevé chez les filles que les garçons).

- Problème de réussite (taux de redoublement et d'échec plus prononcés chez les filles). Comme le montre les statistiques, les femmes ont du retard sur les hommes à tous les niveaux de l’éducation. Le phénomène s’accentue au niveau de l’enseignement technique et plus prononcé au niveau de l’enseignement supérieur.

Même si aujourd'hui la tendance est à l’augmentation des effectifs féminins, les disparités persistent toujours et s’expliquent par plusieurs facteurs. Au titre des éléments qui tendent à pénaliser les filles dans le système scolaire, et, par-là à les empêcher d’avoir une qualification requise pour exercer des emplois modernes, se trouvent plusieurs facteurs de blocages d'ordre socioculturel, économique, institutionnel et pédagogique.

 

2.1.1.  Les blocages socioculturels

Le mariage et la procréation sont traditionnellement considérés comme les principales fonctions de la femme. L’apprentissage de ses futurs rôles d’épouse et de mère, se fait à travers l’éducation dispensée au sein de la cellule familiale et, par conséquent, on considère

que la femme n'a pas besoin d'une instruction de haut niveau pour assumer ses responsabilités

en la matière.

Même s’il est admis que la femme camerounaise doit contribuer aux charges financières du ménage, la recherche de revenu se fait à travers la pratique d’activités agricoles (vente de surplus de produits agricoles bruts ou transformés) ou d'activités d’artisanat ou d’activité commerciale. Pour ces activités, la tendance est de croire que l'exercice de ces métiers n'exige ni un niveau intellectuel élevé ni une formation spécialisée.

Cette conception du rôle de la femme influence nombre de parents à plus d’un titre :

- soit ils sont réticents à envoyer les filles à l’école, ou à les y inscrire tôt (la fille doit

aider sa maman à assumer les charges domestiques) ;

- soit dans certains cas, les filles sont retirées assez tôt de l’école pour être envoyées en apprentissage d'un métier, ou pour faire le petit commerce, ou pour être données en mariage.

L’éloignement de l’école du domicile (certaines localités n'ont pas d'école à proximité)

explique aussi parfois la non inscription des petites filles à l'école car certains parents estiment

que la jeune fille court des risques en se déplaçant loin.

La démotivation des parents face aux échecs répétés des filles ou aux grossesses d'élèves adolescentes constituent entre autre, un frein à la scolarisation de la jeune fille. Cette démotivation affecte les filles elles-mêmes face au chômage de leurs aînées diplômées sans emploi qui se tournent le plus souvent vers le commerce ou autre activité du secteur informel.

Certes les mentalités ont évolué. Grâce aux campagnes d'information à l'intention aussi bien des parents que des filles sur l'importance de l'éducation de la jeune fille, les inscriptions de ces dernières années ont augmenté dans les établissements, toutefois, des difficultés  économiques annihilent parfois les bonnes volontés.

 

2.1.2. Les blocages d'ordre économique

Ils sont aussi à la base des disparités de taux de scolarisation entre filles et garçons. Il arrive fréquemment lorsque les ressources financières de la famille manquent ou sont insuffisantes, que les parents opèrent des choix en préférant donner la chance aux garçons au détriment des filles pour ce qui est d’inscrire ou de maintenir les enfants à l’école.

L’école, il est vrai, que même si elle est gratuite, occasionne des dépenses pour les parents (frais d’inscription, achat de fournitures scolaires, confection d’uniforme, déplacement des enfants etc.). L’école empêche aussi les enfants, surtout les filles, d’aider convenablement leurs parents dans les travaux domestiques ou activités agricoles ou autres, ce qui constitue un manque à gagner pour ces parents.

La rentrée précoce dans la vie active (petit commerce, placement d’enfants comme serveur domestique, etc.) surtout des filles, limite leurs possibilités de fréquentation de l’école classique.

Certains parents aussi considèrent l’investissement scolaire des filles comme non rentable, voire une perte car selon eux, l’instruction de la fille ne profite qu’à la famille dans laquelle elle se marie.

 

2.1.3. Les facteurs d’ordre pédagogique

Les programmes d'enseignement, et les manuels scolaires devraient contribuer à la réussite de la fille grâce à une formation de qualité. Mais force est de constater que ces manuelles scolaires mis à la disposition des élèves contiennent des textes qui entretiennent des discriminations liées aux sexes et qui sont défavorables aux filles.

Ainsi, une étude menée sur les manuels de lecture à l’usage des enfants des écoles primaires

( G. Pallante : 62)  révèle l’existence des stéréotypes sexistes véhiculant des idées négatives quant à la valorisation de la femme et par-là à sa promotion.

L’analyse des illustrations et des activités des personnages contenues dans les textes révèlent que  les tâches domestiques sont réservées aux femmes tandis que les rôles non traditionnels tels la science, le progrès technique l’information, sont monopolisés par les hommes. Les illustrations ne montrent pas de femmes exerçant un travail rémunéré, ni de métier ayant trait aux progrès scientifiques : téléphone, infirmier, docteur, visites d’usines etc. sont réservés aux hommes (G. Pallante 2005 : 63).

Ces illustrations et textes du manuel de lecture, reflètent la répartition sexiste du travail qui existe dans la société avec un accent sur les emplois modernes réservés aux hommes. Il apparaît clairement que les enfants soumis à l'étude de ces textes durant tout leur premier cycle d’étude, intériorisent les stéréotypes sexistes négatifs à l'égard des femmes.

Leur préjugé se trouve ainsi renforcé. De plus l’image dévalorisée de la femme est aussi intériorisée par les filles et les femmes elles-mêmes les amenant à se sous-estimer. Les disparités entre filles et garçons se renforcent au niveau :

- des taux d’admission et de scolarisation des deux sexes qui va croissant du primaire

au supérieur

- des résultats qui sont meilleurs chez les garçons

- des choix des filières techniques et scientifiques

L’image traditionnelle de la

femme véhiculée dans la société, fait passer la jeune fille pour inférieure au garçon. Ces valeurs limitent les aspirations et les performances scolaires, intellectuelles et professionnelles de la petite fille.

Même si les textes législatifs et juridiques proscrivent la discrimination entre les sexes et le code de travail impose (et les conventions collectives entérinent…) une égalité de rémunération entre hommes et femmes, les conditions d’accès à l’emploi moderne et aux postes de responsabilité et de décision restent limitées comme en témoignent ces données (ONU 1992 : 50).

 

3.                  Les enjeux de la scolarisation de la jeune au Cameroun

L'éducation joue un rôle essentiel pour mettre les femmes en mesure de gérer leur propre vie. Elle est très importante parce qu'elle ouvre des perspectives économiques. Il faut «  promouvoir l'égalité entre les sexes et l'équité, ainsi qu'assurer l'émancipation des femmes… »

Or, assurer l'égalité et l'équité pour les femmes signifie pour elles :

- fréquenter l'école et y rester ;

- gagner un revenu et avancer dans la profession à l'abri de toute discrimination ;

On peut à juste titre conclure que l'éducation offre les meilleures chances d'une meilleure

vie.

C'est fort conscient de son importance, car elle doit non seulement améliorer le statut de la

femme, mais aussi contribuer au développement du pays.

Afin de favoriser la pleine participation de la femme au développement au même titre que l’homme, il s’avère nécessaire entre autre de corriger les disparités liées au genre qui subsistent dans le système scolaire au Cameroun et ce, malgré l’affirmation du principe de l’égalité scolaire entre fille et garçon préconisé par la Réforme de l'Enseignement. La discrimination liée au genre est entretenue par des manuels éducatifs renfermant des clichés sexistes entre hommes et femmes et par des programmes et matériels pédagogiques qui sont aussi empreints de préjugés sexistes renforçant les rôles féminins et masculins traditionnels. Comme le stipule le programme d’Action au Burkina Faso « l’éducation est un droit de l’homme et un moyen essentiel d’atteindre les objectifs d’égalité de développement et de paix… Filles et garçons ont tout à gagner d’un enseignement non discriminatoire, qui enfin de compte, contribue à instaurer des relations plus égalitaires entre les femmes et les hommes » (C. Benabdessadok 1985 : 54).

L'accès à l'emploi moderne et à la haute fonction étant subordonné à une scolarisation et une formation suffisantes, filles comme garçons doivent avoir un accès complet pour enseignement primaire et secondaire. Or l'inefficacité interne et externe du système scolaire

camerounais ne permet pas une forte scolarisation des filles. De plus, l'école ne peut non plus

jouer convenablement son rôle si elle entretien et véhicule des clichés sexistes négatifs à la

femme.

Aussi, pour réduire l'écart entre filles et garçons dans l'enseignement, et leur assurer l'égalité et l'équité pour un développement humain, faudra-t-il :

- revoir les programmes d'enseignement, et les débarrasser des stéréotypes sexistes ;

- intégrer l'enseignement de l’approche genre dans le système éducatif scolaire du

pays ;

- revoir les textes des manuels soumis à l'étude des enfants ;

- fournir aux parents les informations nécessaires pour les motiver à mettre les filles

à l'école, et à les aider à y rester.

- aider enseignants, filles et garçons à se départir des préjugés liés au genre qui nuisent à l'émancipation de la femme;

- amener la jeune fille à se valoriser grâce à une formation solide ;

- réduire l'analphabétisme chez les femmes.

Le faible niveau d’éducation étant aussi la cause du nombre élevé de grossesses précoces et non désirées qui constituent un obstacle supplémentaire à l’amélioration du statut de la femme et à son épanouissement, il est important d'étendre et de renforcer l'enseignement de l'éducation pour la population et à la vie familiale à tous les degrés d'enseignement. Le développement du pays y gagnerait si les femmes ont accès à l'instruction, aux emplois modernes et aux postes de décision (J. Sergers 1975 : p. 279).

 

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