L'ECOLE ET LA JEUNE FILLE EN AFRIQUE

Publié le par mbida

Introduction

Dans nombreuses régions du monde les préjugés à l'égard des filles ont été fortement établis. Leurs droits fondamentaux à l'éducation, à l'égalité et parfois même à la survie sont sans cesse bafoués.

Et pourtant, si l'Afrique est aujourd'hui vivante dans l’histoire c'est grâce à la femme gardienne fidèle de toutes les valeurs qu'elle a la charge de communiquer, de transmettre à ses enfants.

Au Cameroun particulièrement l'impact des pratiques culturelles et traditionnelles sur les filles est très fort. Ce phénomène résulte dans certains cas de la résistance de la société aux

changements acquis par la société d’une part, et par la fille elle-même d’autre part.

Dans nos sociétés, l’un des droits fondamentaux de la petite fille, celui d’aller l’école, a longtemps été foulé au pied par des parents. Le plus souvent soit on ne permettait pas à une jeune fille d’aller à l’école comme le garçon, soit elle était précocement retirée pour la donner en mariage. En réalité nombre de parents pensent que sa scolarisation n’a pas assez d’importance. Mais Toutefois, une évolution positive est notée. La femme participe au progrès de la société.

Pourquoi la société camerounaise, bien qu'elle souhaite voir ces filles instruites et productives ne lève-t-elle pas les obstacles qui inhibent la scolarisation, l'épanouissement, la promotion de la fille ?

Notre intention est de comprendre l’analyse de l’auteur. La pertinence du thème ne fait aucun doute. Fidèle à la démarche de l’auteur, nous nous arrêterons d’abord sur l’image de la femme africaine, ensuite sur le problème de la scolarisation de la jeune fille au Cameroun et enfin sur les enjeux de cette scolarisation.

 

1.      Image de la femme africaine

Notre auteur  met en exergue l’image de la femme qui est habituellement présentée : la femme inférieure, opprimée, sans liberté d'action, sans créativité ou esprit d'entreprise. Elle fait ensuite savoir qu'on la retrouve dans le petit commerce, l'artisanat, l'agriculture et la petite industrie alimentaire, mais plusieurs obstacles se dressent encore à elle dans le domaine économique, lesquels ne lui permettent pas d'offrir des produits de qualité sur le marché ni d'opérer dans la structure formelle (C. Honeto 1980 : 53).

Les auteurs Winfried Schneider et Regina Maria corroborent cela en disant que : « même, si l'idéal social attribue à la femme le rôle de l'épouse et de la mère au foyer, il n'y a que très peu de familles qui se confrontent à cette réalité vu que ce sont les femmes qui contribuent pour le maintien de leur foyer. C'est ainsi que les familles pauvres ne peuvent pas se permettre de renoncer à la contribution des femmes aux revenus familiaux » (W. Schneider et M. Regina 1996 : 87). Cette situation a été constatée aussi dans la société qui fait l'objet de notre étude.

En effet, il se dégage de ces analyses que la société camerounaise a connu des écueils vis-à-vis de 1a promotion de la fille : la méconnaissance des droits de la fille, la pauvreté des parents. A cela s’ajoutent les facteurs traditionnels les plus divers qui démontrent qu’il faut donner une éducation et instruction aux garçons car ils auront à gagner le pain pour leur famille et à soutenir leurs vieux parents. Cela s'apparente à la crainte émise par les sociétés traditionnelles africaines et si bien traduite par René Dumont qui dit: «  Si ta sœur va à l'école, tu mangeras la plume. »

Ces considérations se vérifient chez les Bëti où la naissance d'une fille passe inaperçue, voire méprisée pendant que celle d'un garçon est un motif de joie, de fête.

Dans cette même orientation, on observe, que la femme n'est pas égale à l'homme, de ce fait, jadis elle ne pouvait consommer certains mets, tels que la poule, les œufs… Bien plus, l'épouse n'a pas le droit de prendre son repas en compagnie de son mari. Parfois, elle ne se contente que des restes laisser par ce dernier. En outre, lorsqu'on considère l'aide que peut apporter une fille dans un foyer, par exemple la collecte d'eau et de bois, les soins aux jeunes enfants et aussi partant de la conception qu'on se fait de la femme, l'idée a toujours été de la préparer à sa vie future d'épouse et de mère. « En Afrique la femme a toujours été considérée comme une richesse. Elle était une machine à produire et à reproduire : productrice de biens, avec son travail comme bête de somme et reproductrice d’enfants qui étaient non seulement le lien mystique pour la continuation du lignage, mais aussi potentielle main d’œuvre » (G. Pallante : 54).   Ainsi soustraites aux seuls travaux ménagers, les filles se trouvent condamnées à vivre dans une ignorance généralisée, dans un état de santé médiocre, avec des attentes réduites et les capacités diminuées. Le comble est qu'une fois devenue mères, elles transmettent les mêmes attitudes et handicaps à leurs enfants.

 

2.      Le problème de la scolarisation de la jeune fille au Cameroun

L’on a réussi à multiplier les écoles, les collèges et les lycées, à augmenter l’effectif des élèves aussi bien des filles que des garçons, et à mettre en place de nouveaux programmes d’enseignement scolaire, cependant, elle a été loin de réaliser les objectifs visés, donc elle n'a pu enrayer les inégalités liées au genre, ni à maintenir le plus longtemps possible les filles dans le cursus scolaire, ni à faire disparaître les inégalités d'ordre quantitatif et qualitatif.

 

 

2.1. Les filles dans le système scolaire au Cameroun

L'analyse de la scolarisation des filles révèle qu'au Cameroun, elles sont confrontées à un

certain nombre de problèmes dont :

- problème d'accès qui se traduit par des disparités entre les taux d'admission et de scolarisation des deux sexes qui s'accentuent au fur et à mesure qu'on va loin dans les niveaux ou qu'on soit dans les filières techniques selon certaines statistiques. Malgré le fait que les femmes soient plus nombreuses que les hommes, le nombre d’enfants mâles dépasse celui de leurs homologues femmes dans les secteurs de l’éducation formelle et supérieure ;

- problème de maintien dans le système (le taux d'abandon est plus élevé chez les filles que les garçons).

- Problème de réussite (taux de redoublement et d'échec plus prononcés chez les filles). Comme le montre les statistiques, les femmes ont du retard sur les hommes à tous les niveaux de l’éducation. Le phénomène s’accentue au niveau de l’enseignement technique et plus prononcé au niveau de l’enseignement supérieur.

Même si aujourd'hui la tendance est à l’augmentation des effectifs féminins, les disparités persistent toujours et s’expliquent par plusieurs facteurs. Au titre des éléments qui tendent à pénaliser les filles dans le système scolaire, et, par-là à les empêcher d’avoir une qualification requise pour exercer des emplois modernes, se trouvent plusieurs facteurs de blocages d'ordre socioculturel, économique, institutionnel et pédagogique.

 

2.1.1.  Les blocages socioculturels

Le mariage et la procréation sont traditionnellement considérés comme les principales fonctions de la femme. L’apprentissage de ses futurs rôles d’épouse et de mère, se fait à travers l’éducation dispensée au sein de la cellule familiale et, par conséquent, on considère

que la femme n'a pas besoin d'une instruction de haut niveau pour assumer ses responsabilités

en la matière.

Même s’il est admis que la femme camerounaise doit contribuer aux charges financières du ménage, la recherche de revenu se fait à travers la pratique d’activités agricoles (vente de surplus de produits agricoles bruts ou transformés) ou d'activités d’artisanat ou d’activité commerciale. Pour ces activités, la tendance est de croire que l'exercice de ces métiers n'exige ni un niveau intellectuel élevé ni une formation spécialisée.

Cette conception du rôle de la femme influence nombre de parents à plus d’un titre :

- soit ils sont réticents à envoyer les filles à l’école, ou à les y inscrire tôt (la fille doit

aider sa maman à assumer les charges domestiques) ;

- soit dans certains cas, les filles sont retirées assez tôt de l’école pour être envoyées en apprentissage d'un métier, ou pour faire le petit commerce, ou pour être données en mariage.

L’éloignement de l’école du domicile (certaines localités n'ont pas d'école à proximité)

explique aussi parfois la non inscription des petites filles à l'école car certains parents estiment

que la jeune fille court des risques en se déplaçant loin.

La démotivation des parents face aux échecs répétés des filles ou aux grossesses d'élèves adolescentes constituent entre autre, un frein à la scolarisation de la jeune fille. Cette démotivation affecte les filles elles-mêmes face au chômage de leurs aînées diplômées sans emploi qui se tournent le plus souvent vers le commerce ou autre activité du secteur informel.

Certes les mentalités ont évolué. Grâce aux campagnes d'information à l'intention aussi bien des parents que des filles sur l'importance de l'éducation de la jeune fille, les inscriptions de ces dernières années ont augmenté dans les établissements, toutefois, des difficultés  économiques annihilent parfois les bonnes volontés.

 

2.1.2. Les blocages d'ordre économique

Ils sont aussi à la base des disparités de taux de scolarisation entre filles et garçons. Il arrive fréquemment lorsque les ressources financières de la famille manquent ou sont insuffisantes, que les parents opèrent des choix en préférant donner la chance aux garçons au détriment des filles pour ce qui est d’inscrire ou de maintenir les enfants à l’école.

L’école, il est vrai, que même si elle est gratuite, occasionne des dépenses pour les parents (frais d’inscription, achat de fournitures scolaires, confection d’uniforme, déplacement des enfants etc.). L’école empêche aussi les enfants, surtout les filles, d’aider convenablement leurs parents dans les travaux domestiques ou activités agricoles ou autres, ce qui constitue un manque à gagner pour ces parents.

La rentrée précoce dans la vie active (petit commerce, placement d’enfants comme serveur domestique, etc.) surtout des filles, limite leurs possibilités de fréquentation de l’école classique.

Certains parents aussi considèrent l’investissement scolaire des filles comme non rentable, voire une perte car selon eux, l’instruction de la fille ne profite qu’à la famille dans laquelle elle marie.

 

2.1.3. Les facteurs d’ordre pédagogique

Les programmes d'enseignement, et les manuels scolaires devraient contribuer à la réussite de la fille grâce à une formation de qualité. Mais force est de constater que ces manuelles scolaires mis à la disposition des élèves contiennent des textes qui entretiennent des discriminations liées aux sexes et qui sont défavorables aux filles.

Ainsi selon une étude menée sur les manuels de lecture à l’usage des enfants des écoles primaires (G. Pallante : 62)  révèle l’existence des stéréotypes sexistes véhiculant des idées négatives quant à la valorisation de la femme et par-là à sa promotion.

L’analyse des illustrations et des activités des personnages contenues dans les textes révèlent que  les tâches domestiques sont réservées aux femmes tandis que les rôles non traditionnels tels la science, le progrès technique l’information, sont monopolisés par les hommes. Les illustrations ne montrent pas de femmes exerçant un travail rémunéré, ni de métier ayant trait aux progrès scientifiques : téléphone, infirmier, docteur, visites d’usines etc. sont réservés aux hommes (G. Pallante 2005 : 63).

Ces illustrations et textes du manuel de lecture, reflètent la répartition sexiste du travail qui existe dans la société avec un accent sur les emplois modernes réservés aux hommes. Il apparaît clairement que les enfants soumis à l'étude de ces textes durant tout leur premier cycle d’étude, intériorisent les stéréotypes sexistes négatifs à l'égard des femmes.

Leur préjugé se trouve ainsi renforcé. De plus l’image dévalorisée de la femme est aussi intériorisée par les filles et les femmes elles-mêmes les amenant à se sous-estimer. Les disparités entre filles et garçons se renforcent au niveau :

- des taux d’admission et de scolarisation des deux sexes qui va croissant du primaire

au supérieur

- des résultats qui sont meilleurs chez les garçons

- des choix des filières techniques et scientifiques

L’image traditionnelle de la femme véhiculée dans la société, fait passer la jeune fille pour inférieure au garçon. Ces valeurs limitent les aspirations et les performances scolaires, intellectuelles et professionnelles de la petite fille.

Même si les textes législatifs et juridiques proscrivent la discrimination entre les sexes et le code de travail impose (et les conventions collectives entérinent…) une égalité de rémunération entre hommes et femmes, les conditions d’accès à l’emploi moderne et aux postes de responsabilité et de décision restent limitées comme en témoignent ces données.

 

3.      Les enjeux de la scolarisation de la jeune au Cameroun

L'éducation joue un rôle essentiel pour mettre les femmes en mesure de gérer leur propre vie. Elle est très importante parce qu'elle ouvre des perspectives économiques. Il faut «  promouvoir l'égalité entre les sexes et l'équité, ainsi qu'assurer l'émancipation des femmes… »

Or, assurer l'égalité et l'équité pour les femmes signifie pour elles :

- fréquenter l'école et y rester ;

- gagner un revenu et avancer dans la profession à l'abri de toute discrimination ;

On peut à juste titre conclure que l'éducation offre les meilleures chances d'une meilleure

vie.

C'est fort conscient de son importance, car elle doit non seulement améliorer le statut de la

femme, mais aussi contribuer au développement du pays.

Afin de favoriser la pleine participation de la femme au développement au même titre que l’homme, il s’avère nécessaire entre autre de corriger les disparités liées au genre qui subsistent dans le système scolaire au Cameroun et ce, malgré l’affirmation du principe de l’égalité scolaire entre fille et garçon préconisé par la Réforme de l'Enseignement. La discrimination liée au genre est entretenue par des manuels éducatifs renfermant des clichés sexistes entre hommes et femmes et par des programmes et matériels pédagogiques qui sont aussi empreints de préjugés sexistes renforçant les rôles féminins et masculins traditionnels. Comme le stipule le programme d’Action de Beijing, « l’éducation est un droit de l’homme et un moyen essentiel d’atteindre les objectifs d’égalité de développement et de paix… Filles et garçons ont tout à gagner d’un enseignement non discriminatoire, qui enfin de compte, contribue à instaurer des relations plus égalitaires entre les femmes et les hommes » (C. Benabdessadok 1985 : 54).

L'accès à l'emploi moderne et à la haute fonction étant subordonné à une scolarisation et une formation suffisantes, filles comme garçons doivent avoir un accès complet pour enseignement primaire et secondaire. Or l'inefficacité interne et externe du système scolaire

camerounais ne permet pas une forte scolarisation des filles. De plus, l'école ne peut non plus

jouer convenablement son rôle si elle entretien et véhicule des clichés sexistes négatifs à la

femme.

Aussi, pour réduire l'écart entre filles et garçons dans l'enseignement, et leur assurer l'égalité et l'équité pour un développement humain, faudra-t-il :

- revoir les programmes d'enseignement, et les débarrasser des stéréotypes sexistes ;

- intégrer l'enseignement de l’approche genre dans le système éducatif scolaire du

pays ;

- revoir les textes des manuels soumis à l'étude des enfants ;

- fournir aux parents les informations nécessaires pour les motiver à mettre les filles

à l'école, et à les aider à y rester.

- aider enseignants, filles et garçons à se départir des préjugés liés au genre qui nuisent à l'émancipation de la femme;

- amener la jeune fille à se valoriser grâce à une formation solide ;

- réduire l'analphabétisme chez les femmes.

Le faible niveau d’éducation étant aussi la cause du nombre élevé de grossesses précoces et non désirées qui constituent un obstacle supplémentaire à l’amélioration du statut de la femme et à son épanouissement, il est important d'étendre et de renforcer l'enseignement de l'éducation pour la population et à la vie familiale à tous les degrés d'enseignement. Le développement du pays y gagnerait si les femmes ont accès à l'instruction, aux emplois modernes et aux postes de décision.

 

Conclusion

Quel que soit le type d'orientation traditionnelle ou moderne, la jeune fille reçoit une éducation différente de celle de son frère. L'enseignement dispensé à la jeune fille consiste à la façonner, à la conditionner pour jouer son rôle ménager et maternel. Elle est éduquée dans le sens de la soumission.

Or, avec un peu d'instruction, la vie de la jeune fille et même celle de sa famille peuvent connaître une réelle amélioration. En effet, une mère instruite est mieux disposée à recevoir et à mettre en pratique pour le bien-être familial, les bons conseils relatifs aux soins de santé primaires, à l'alimentation, aux techniques puériculturelles modernes, ainsi qu'aux techniques de gestion, vulgarisés par divers centres de formation et d'animation pour femmes. Il est vrai que le rôle de mère, malheureusement méprisé de nos jours, demeure l'un des rôles primordiaux de la femme, cependant il arrive que les mères soient contraintes d'exercer une activité professionnelle pour améliorer les revenus de leur famille. En tout état de cause, malgré les difficultés économiques de l'heure, les parents gagneraient  à assurer la scolarisation de leurs enfants, surtout celle des filles, car « un enfant qu'on enseigne, est un homme qu'on gagne ».

 

 BIBLIOGRAPHIE

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1996    La promotion féminine dans le cadre du développement rural,

 

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1975    "Le Cours d’initiation au développement", in zaïre Afrique, n°105, p. 279

 

 

 

 

 

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